Je suis un fervent défenseur du fait qu’il faut parler d’argent, sans tabous. Cependant, ce n’est pas d’argent qu’on parle, dans Vie$ de rêve. Ce dont il est question, c’est de consommation.
De mon point de vue, le mot qui manque, si on voulait réellement parler de saine abondance d’argent, c’est le mot satiation. À quel moment, ou à quel montant, en a-t-on assez?
Ici, on est tellement dans la surabondance, qu’arrive ce niveau de déconnexion à la réalité. Une rationalisation ou une banalisation tellement intégrée qu’elle déprive l’argent de sens et d’utilité pertinente.
Un sens de satiation
Un dessein à l’indépendance financière, c’est de donner à cette quête, un but. C’est là que l’argent peut libérer tout son sens. C’est d’avoir des objectifs qui vont au-delà de sa propre sécurité financière personnelle.
Pour Dominique Favreau, la saine abondance c’est de « vivre sans se préoccuper de l’argent, mais sans perdre de vue, la vraie valeur des choses.»
Pour Pierre-Yves McSween, c’est « d’avoir assez de confort pour ne pas en vouloir davantage. »
L’une de mes citations préférées vient d’Erik Giasson (quelqu’un qui a déjà gagné, dans sa vie, des salaires similaires à un gros lot de la lotto, avant d’être brutalement ramené sur terre).
« (Aujourd’hui) je me couche riche de ma vie, riche de ma femme, riche de mes enfants, riche de ce que j’ai, ce qui est vraiment différent d’une grande partie de ma vie où je me suis couché pauvre de ce que je n’avais pas. »
Ses paroles révélaient sa désillusion face aux promesses trompeuses de la richesse matérielle et de cette course perpétuelle à la consommation. Après tout, seules des personnes qui ont connu l'opulence peuvent reconnaître l’ironique vide de la surabondance.
Au-delà de la consommation hédonique
Ce que notre imaginaire populaire associe à des symboles de richesse est un miroir déformant de nos aspirations, plus qu’autre chose. Il est difficile de mesurer la vraie richesse, mais il est facile d’observer de l’argent dépensée. On voit la richesse décaissée, donc celle qui n’en n’est plus.
Comme l’expliquait bien Damien Hallegatte, il existe trois classes de biens de consommation.
En premier, il y a la consommation utilitaire. Si on prenait l’exemple des voitures, ce sont celles qui nous permettent simplement de se rendre d’un endroit à un autre
En deuxième, il y a la consommation hédonique. Ce sont les petits plaisirs personnels rendant la base un peu plus agréable. Pour continuer l’exemple des voitures, c’est un peu plus confortable, sans excès.
En troisième, il y a la consommation symbolique. Dit autrement, comment le bien que je consomme me positionne-t-il sur l’échelle socio-économique et qu’est-ce que ce bien dit de moi-même ou de mon « succès » relatif?
Définitivement, un Yacht à 10 millions de dollars va bien au-delà de la consommation seulement hédonique. C’est une consommation symbolique. Elle quémande adulation et révérence.
La vie de rêve à qui?
J’ai commencé à écrire cette chronique au début de la semaine, pour la laisser mijoter. Le sujet est délicat, il a fait beaucoup jaser cette semaine, mais surtout, il méritait mûres réflexions pour comprendre son essence. Aussi, l’émission n’est pas encore disponible, donc il me faudra y revenir, une fois le visionnement complété, car je ne peux que spéculer sur les extraits et entrevues disponibles, pour le moment. Je pourrais probablement réécrire plusieurs fois ce billet que je ne trouverais pas encore les mots justes pour exprimer tous mes sentiments sur le sujet.
Pour être très clair, le fait que l’émission présente le portrait de 6 femmes dites riches ne change en rien mon point de vue. Ce aurait pu être 6 hommes, mon opinion aurait été la même. Ce n’est pas la richesse financière ou les accomplissements de ces protagonistes qui me choque, mais l’utilisation de leurs ressources.
Si elles ou ils qui se définissent comme étant des personnes à succès prétendent qu’elles ou ils sont là, sous le projecteur, pour inspirer les gens à se dépasser, je me permets de questionner davatange.
Cet étalage de la richesse matérielle dans les médias (sociaux et traditionnels) créé d’irréplicables et d’insoutenables modèles de consommation. Si l’on consomme déjà plus que ce que la terre parvient à regénérer comme ressources, annuellement, imaginez si tout le monde venait à consommer comme ces modèles.
De plus, cette exposition ostentatoire contribue à réconforter les choix de certaines de ces personnes nanties, dans leurs choix de luxe. Il y quelque chose de spécial, pour eux, d’être derrière ces vitrines léchées de voyeurisme par ceux qui n’arrivent même à s’imaginer dépenser autant d’argent en une seule journée.
Plus que la montre, le sac à main ou la voiture de luxe, c’est l’envie que créé ces objets qui est le carburant à cette consommation symbolique.
Une personne qui magasine aux Galleria Vittorio Emanuele II de Milan, sur la 5th Avenue de New York ou sur l’Avenue des Champs-Élysées de Paris se nourrit volontairement, ou involontairement, de l’envie ou de la jalousie des autres.
Parler finances ou parler de dépenses
Pour moi qui œuvre dans l’éducation financière, est-il paradoxal de parler de finances personnelles, d’indépendance financière, tout en dénonçant la consommation matérielle? Absolument pas.
Je crois que la sérénité financière est accessible, oui. Je crois que qui veut peut prendre ses finances en main pour bien jouer les cartes qui lui sont distribuées, mais jusqu’à un certain niveau. Soyons honnêtes, ces modèles de richesse ne jouent pas sur un autre niveau, ils jouent carrément sur un autre jeu.
Je ne dis pas que la barre du succès relatif doit être basse, mais qu’elle doit être juste et saine. Pour moi, une personne qui arrive à vivre simplement est tout autant, sinon plus, une personne à succès, que les autres, car je crois que c’est difficile, de reconnaitre ce qui est suffisant, pour soi.
Cette vie de rêve proposée en est-elle vraiment une, ou est-elle celle qu’on veut nous vendre?
Dans la bande-annonce, on entend même: « De l’argent de même, c’est le bonheur fois mille! »
Tant mieux si c’est le cas pour elle, mais je n’en suis pas si certain, car la plupart des études sur la corrélation entre l’argent et le bonheur s’entendent pour dire qu’il arrive un certain plateau, entre l’argent gagnée et sa contribution directe au bonheur relatif. Je crois surtout que ça créé une forme de questionnement face à sa propre qualité de vie, pour le spectateur. Il vient à se dire que sa vie est plate, face à toutes les choses merveilleuses que les autres font, alors que ce peut n’être qu’une illusion.
De toute façon, si cette vie de « rêve » en est une de gaspillage et de dilapidation de la valeur de l’argent, je n’en veux rien. Merci, mais je passe mon tour.
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Illustration: Générée avec Microsoft Copilot, le vendredi 13 décembre, 2024 à 21h14, sous la commande: "Whimsical paper collage diorama scene, shallow depth of field. Warm lighting with a slight orange hue. A bustling shopping district with high-end stores like those on 5th Avenue, Champs-Élysées, and Galleria Vittorio Emanuele II. People shopping with luxury items. In the background, a subtle hint of envy and admiration."
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